Le Voyage nocturne et l’Ascension du Bien-Aimé

Le voyage nocturne et l’ascension du Prophète ont eu lieu la nuit du 27 de ce mois sacré de Rajab. A cette occasion, nous vous proposons de replonger ensemble dans ce récit devenu un des trésors de notre patrimoine spirituel, et de le méditer ensemble pour en tirer tous les bienfaits qu’il recèle.

LE RÉCIT

Pour bien comprendre la charge émotionnelle et spirituelle que revêt le voyage nocturne et l’ascension, nous devons commencer notre récit quelques semaines en arrière, au moment où notre Bien-Aimé Mohammed vivait les heures les plus sombres du boycott imposé par les mecquois contre les musulmans.

Abu Talib, l’oncle bien aimé du Prophète qui lui offrait à la fois amour et protection, vient d’être rappelé à son Seigneur juste après son épouse bien aimée Khadija. Le Prophète Bien Aimé se voit alors privé de deux êtres chers, et livré au reste de son clan ainsi qu’aux notables de la Mecque qui refusaient le Message Divin, tandis que ses compagnons ainsi que lui-même subissent des maltraitances toujours plus rudes. Le besoin de protection devenait de plus en plus pressant, et notre Guide s’est donc mis en quête d’une solution.

Sur ordre de Dieu, le Prophète s’en va chercher de l’aide auprès de différentes tribus, les unes après les autres. À chacune de ces destinations et de ces rencontres, le Prophète priait pour la réussite de son affaire, et les confirmations qu’il recevait de Dieu venaient nourrir en lui l’espoir d’une réussite certaine. Mais à chaque fois, il fut soit mal reçu, soit reçu avec des promesses vides, ou encore confronté à des gens prêts à lui accorder de l’aide à condition de bénéficier par la suite d’intérêts politique ou financier. La réussite sur le plan du monde physique et matériel n’a pas été au rendez-vous. Car la réussite qui attendait notre Bien-Aimé était ailleurs…

Le Prophète Mohammed, déjà éprouvé par les multiples refus et tentatives de manipulation dont il a fait l’objet, se rend donc dans la cité de Ta’if en dernier recours, afin de discuter avec ses chefs. Alors, non seulement les responsables de ce village le rejettent et refusent de lui tendre la main, mais il se retrouve également poursuivi par les habitants, qui lui jettent pierres et ordures, l’insultent et se moquent de lui. Femmes, enfants, esclaves, tous se réunissent pour le pourchasser, l’attaquer. Le Guide Universel de toute l’humanité quitte l’endroit sous les pierres, ses nobles pieds en sang, pour se mettre à l’abri hors de la ville.

Quel est le résultat de ces longs jours de voyage et de tous les efforts déployés ? Quelle aide a-t-il pu obtenir pour la survie et la sécurité de ceux qui l’avaient suivi pour la Face de Dieu et qu’il a laissé à la Mecque ? Il se retrouve épuisé, blessé, repoussé, traité de fou, loin de chez lui et loin des siens qu’il sait en danger.

Parvenu au bout du bout de ses capacités, il se tourne vers son Seigneur et prie. Dans sa prière, il ne s’est pas plaint de la méchanceté des gens, ni même de sa souffrance et de ses peines, mais de ses limites à lui, de son incapacité à lui et de sa faiblesse à lui ! Quel homme ! Quelle grandeur ! Quelle pureté ! Quelle noblesse !

اللّٰهُمّ إلَيْك أَشْكُو ضَعْفَ قُوَّتِي

وَقِلَّةَ حِيلَتِي ، وَهَوَانِي عَلَى النّاسِ، يَا أَرْحَمَ الرّاحِمِينَ

أَنْتَ رَبُّ الْمُسْتَضْعَفِينَ وَأَنْتَ رَبّي

إِلَى مَنْ تَكِلُنِي ؟

إلَى بَعِيدٍ يَتَجَهَّمُنِي ؟

أَمْ إِلَى عَدُوٍّ مَلَّكْتَهُ أَمْرِي ؟

إِنْ لَمْ تَكُنْ غَضْبانَ عَلَيَّ فَلَا أُبَالِ

وَلَٰكِنَّ عَافِيَتَكَ هِيَ أَوْسَعُ لِي

أَعُوذُ بِنُورِ وَجْهِكَ الَّذِي أَشْرَقَتْ لَهُ الظُّلُمَاتُ وَصَلُحَ عَلَيْهِ أَمْرُ الدُّنْيَا وَالْآخِرَةِ مِنْ أَنْ تُنْزِلَ بِي غَضَبُكَ

أَوْ يَحِلُّ عَلَيَّ سُخْطُكَ

لَك الْعُتْبَى حَتّى تَرْضَى

وَلَا حَوْلَ وَلَا قُوَّةَ إلّا بِكَ

« O Dieu de mon cœur, à Toi je me plains de ma faiblesse, de mon impuissance et de ma condition devant les hommes. Ô Toi qui est plus proche de moi que tous mes proches, Toi qui m’aimes plus que tous ceux qui m’aiment, Tu es le Seigneur des faibles et Tu es mon Seigneur. Entre les mains de qui me remets-Tu ? A quelque étranger lointain qui me maltraitera ? Ou à un ennemi à qui Tu auras donné pouvoir contre moi ? S’il ne s’agit pas là de la manifestation de Ta Colère contre moi, alors je ne me fais pas de souci. Mais Ton aide gracieuse m’est préférable, et m’ouvrirait un chemin plus vaste et un horizon plus large ! Je prends refuge dans la Lumière de Ta Face par laquelle toutes les ténèbres sont illuminées et dissoutes, et par laquelle tout en ce monde est maintenu dans un équilibre parfait, afin de ne pas être de ceux sur qui Tu fais descendre Ta colère. Je maintiens donc mes efforts pour obtenir Ta pleine Satisfaction, tout en sachant qu’il n’y a de puissance, de force, de pouvoir que par Toi et qu’en Toi. » 

(Adaptée de la traduction de Jean-Louis Michon)

Alors, l’Ange des montagnes apparut et annonça qu’il était venu anéantir cette ville et ses habitants en les écrasant entre deux montagnes. Sauf si le Prophète en décidait autrement. Et le Bien-Aimé sauva ce peuple qui venait de lui faire tant de mal. Il refusa la punition, évoquant l’espoir que de leur descendance émerge des gens de bien. Quelle force ! Quelle grandeur d’âme et de cœur ! Quelle bonté et amour !

Comme une récompense pour cette élévation intérieure, comme une réponse à cette transcendance intérieure, Notre Seigneur Bienveillant et débordant d’Amour offrit une élévation et une transcendance céleste à notre Bien-Aimé…

Quelques nuits plus tard, après son retour à la Mecque, l’ange Gabriel réveille l’Envoyé et lui propose de monter le Bouraq, un cheval ailé majestueux, qui l’emmène à la Mosquée de Jérusalem aussi vite que l’éclair. Là, sur l’ancienne place du Temple, il mène la prière pour une noble assemblée de Prophètes : Abraham, Moïse, Jésus, et tant d’autres Envoyés sont là, derrière lui, communiant ensemble avec Dieu.

Cette prière marque le début de son ascension, qui va lui faire traverser les sept cieux en compagnie de l’Ange Gabriel, et dans lesquels il s’entretiendra avec Adam au premier ciel, au second Jésus (‘Issa) et Jean le Baptiste (Yahya), Joseph (Yusuf) au troisième, au quatrième, Hénoch (Idris), au cinquième Aaron (Haroun), au sixième Moïse (Moussa) et enfin, au septième ciel Abraham (Ibrahim).

Ensuite, voilà qu’il atteint le lotus de la limite (Sidrat al-Muntaha) et l’ange Gabriel lui signifie qu’il ne peut pas l’accompagner au-delà. Désormais, seul Mohammed peut s’avancer au-delà de cette limite sacrée. Il est la seule créature de tous les temps et par-delà le temps à avoir dépassé cette frontière, goutant l’honneur et le bonheur ultime de rencontrer pleinement Dieu, dans une Ascension éternelle et continue.

Le Prophète Bien-Aimé nous rapporte lui-même : “ Les portes m’ont été ouvertes les unes après les autres jusqu’à la Porte Sublime. Et j’étais accueillis au Royaume Suprême. Et le Portier, qui n’est autre que Dieu lui-même, m’a dit “Bienvenue mon Bien Aimé !”

Et pour son retour sur terre, notre Seigneur Bien-Aimé offre un cadeau à notre Prophète, un cadeau pour nous : il s’agit des 5 prières par jour, 5 rendez-vous avec Dieu, 5 adorations qui en valent 50.

Nous avons désormais chacune et chacun un lien, une connexion, un rite, qui nous permet de faire revivre et célébrer la prière sur la place du Temple et l’ascension céleste de notre Bien-Aimé.

MÉDITATION

Et si nous méditions ce récit afin d’en tirer des chemins pour nous rapprocher du Bien-Aimé et marcher sur ses pas vers Dieu ?


Nous avons pu voir que le Voyage Nocturne et l’Ascension du Prophète est aussi une histoire d’ascension et de transcendance intérieure.

En effet, quand l’Ange est venu au Prophète pour punir le peuple de Ta’if, notre Bien-aimé n’a pas voulu se venger. À ce moment-là, bien qu’il soit passé à travers de grandes difficultés dans le monde matériel, il a transcendé toutes ces expériences douloureuses.

Il a transcendé le temps, l’espace et le niveau de ceux qui l’avaient attaqué et blessé en portant son regard et son souci sur leurs enfants. Il les a imaginés, et s’est montré capable d’aimer ces futurs enfants, ces hommes et ces femmes qui seraient les descendants de ces personnes néfastes et ingrates.

Dieu par Sa Grâce, pour honorer son Bien-aimé, a guidé non seulement les cœurs de ces futures âmes, mais aussi ces gens qui l’avaient rejeté. Après avoir eu un comportement révoltant et méprisable, ils sont devenus des amoureux de celui qu’ils avaient chassé de leur ville. Leurs cœurs ont changé et ils ont désiré son retour parmi eux. Il a accepté leur retour, et ils se sont unis au Prophète.

Notre Seigneur a donné au Prophète Mohammed le goût spirituel de transcender la difficulté au moment même du rejet et du mal sur terre. Cette ascension que le Prophète a vécu dans son cœur est couronnée par l’Ascension qu’il vivra quelques jours plus tard vers le royaume céleste.

A notre niveau, que pouvons-nous tirer comme point à méditer de cette ascension intérieure ? Comment nous inspirer de ce récit pour vive notre propre élévation et transcendance intérieure ?

1. Réaliser les limites des autres et de soi-même pour s’ouvrir au Tout-Puissant

La transcendance, c’est le fait de dépasser nos propres limites, et pour les dépasser, on doit d’abord réaliser et accepter leur existence, ce que notre égo refuse de faire. Il veut se croire sans limite, sans failles, sans faiblesse, sans dépendance envers Dieu.

Sur les pas de notre Bien-Aimé, nous pouvons faire nôtre sa prière, et réaliser les limites de notre nature humaine :

D’une part, l’être humain peut faire preuve d’une médiocrité, fermeture, bassesse, méchanceté immense (comme le Bien Aimé a pu le voir en les autres, mais que nous pouvons voir en nous-mêmes).

Et d’autre part aucun être humain ne peut nous apporter la moindre protection, si ce n’est par la permission de Dieu. En effet, l’être humain dans sa réalité la plus profonde est un être incapable, sans ressources propres et impuissant.

C’est en acceptant et prenant pleinement conscience de ces deux réalités que l’on peut réaliser notre dépendance à Dieu seul, le Tout-Puissant, et ainsi nous rapprocher encore plus de Lui. 


2. L’intégrité morale et le goût du dépassement de soi

Sur les pas de notre Bien-Aimé, nous pouvons nous aussi nous motiver à chercher l’ascension et la transcendance intérieure, à quitter notre bassesse et médiocrité, et oser toujours plus de pardon, de courage, et d’amour pour ceux qui nous aiment, mais aussi pour ceux qui nous nuisent.

Nous avons de nombreux défis à transcender : nos problèmes, nos excuses pour se maintenir dans la bassesse, nos émotions et passions mal orientées, le mal qui nous entoure et celui qu’on laisse entrer en nous… osons l’élévation, osons la transcendance !

Nous pouvons dire que nos défis se résument :

  • au fait de choisir de faire ce qui plaît à Dieu, même lorsque ce n’est pas ce que nous avons envie de faire,
  • au fait de résister à ce que l’on a envie de faire, si cela déplaît à Dieu.

Ce pouvoir de résister aux penchants de notre égo, c’est ce qu’on appelle la « taqwa » : la capacité à voir et chercher Dieu dans chaque chose, le fait d’être conscient de Sa Présence, de le préserver dans notre Conscience. Dit encore autrement, on peut appeler cela la bonne moralité.

La bonne moralité nous rapproche de Dieu, car elle pousse à s’éloigner de la bassesse pour vivre une ascension vers Dieu, à renoncer à ce qui nous tire vers le bas pour entrer dans l’élévation. La bonne moralité et l’ascension exigent donc des efforts, des renoncements des sacrifices.

Ainsi, notre ascension dépendra du niveau de volonté et d’investissement que l’on mettra à transcender notre nature basse, nos bas instincts, notre impolitesse, notre désir de prouver aux autres qu’ils ont tort et toutes les autres manifestations de notre ego.

Lorsqu’on choisit la moralité et qu’on lutte vaillamment à l’intérieur de nous-mêmes pour ne pas nous en écarter, alors la récompense de Dieu se manifeste sous la forme d’ascension spirituelle. Il ne s’agit évidemment pas à notre niveau du fait de monter le Bouraq pour visiter les sept cieux, mais il s’agit de s’élever et se rapprocher de Dieu, ressentir sa douce proximité un peu plus, et connaître un plus grand bonheur.

Les occasions de se transcender sont nombreuses, et elles sont toutes là, au quotidien, dans les choix les plus banals et les plus terre à terre de notre vie. Dans chaque événement et choix, aussi prosaïques soient-ils, se cache une occasion de se transcender et de connaitre l’ascension.


Par exemple, si je dois partager un simple gâteau entre plusieurs personnes, aurais-je le souci de couper des parts égales pour ne léser personne ? Aurais-je le souci de prendre la part la plus petite pour moi afin de ne léser personne ? Ou bien je prends la part la plus grosse pour nourrir mon égo ?

Quand je me lève tôt le matin, ai-je le souci de faire le moins de bruits possible pour ne déranger personne ? Ou mon égo me suggère de ne pas me soucier des autres ?

Quand je croise une personne qui me dévisage, est-ce que je lui réponds par un sourire ? Ou un regard dur et réprobateur ?

Chaque expression physique a une réalité morale.

Et chaque expression morale a une réalité spirituelle.


Un sourire sincère fait à une personne qui me regarde de travers est une action physique qui exprime mon intégrité morale. Ma bonne morale ne me commande pas de rendre le mal par le mal, mais de rendre le mal par le bien. Ainsi je me transcende. Et ce choix physique conduit par ma réalité morale m’amène à expérimenter une nouvelle réalité spirituelle. Une élévation spirituelle s’opère en moi, un nouveau niveau de réalité spirituelle m’est soudain accessible. Il s’agit là de mon ascension intérieure, à laquelle j’accède en suivant les pas de mon Bien-Aimé qui m’enseigne à ne pas succomber aux ténèbres de mon âme et de mon égo, et rechercher toujours la lumière en moi.


Choisissons alors l’intégrité morale, choisissons de nous dépasser, et nous connaîtrons l’ascension !

3. Mobiliser sa volonté : effort et patience devant la récompense

Se transcender, ce n’est donc pas seulement faire ce que l’on peut, mais dépasser ce que l’on peut faire pour atteindre ce que l’on doit faire.

Sur les pas du Bien-Aimé, nous pouvons cultiver notre endurance, patience, persévérance, nourrie par notre amour et notre soif de Dieu afin d’être toujours en quête sur le chemin de Dieu. Car sans cette persévérance, il est facile de se laisser aller, se laisser tomber, se laisser chuter dans la bassesse. Il n’y a pas de troisième choix ou de troisième voie : soit on s’élève, soit on chute.

L’élévation est difficile et demande patience et efforts, mais la récompense est immense. A l’inverse, la chute offre des délices immédiats mais éphémères, et la conclusion finale est amère, douloureuse, destructrice.

Notre Bien-Aimé n’a pas choisi le chemin de la facilité qui consiste à se laisser chuter, mais le chemin de l’élévation et de la transcendance, qui demande de l’endurance et de la patience, et dont les délices ne sont pas immédiats.

Ainsi nous pouvons voir les bras de fer qui se joue en nous, et la volonté dont il est nécessaire de faire preuve pour ne pas succomber à la bassesse, la paresse, la tristesse, la mollesse, la fainéantise, les habitudes néfastes, ou les addictions.

D’ailleurs, si l’on y réfléchit bien, toutes les addictions et tous les maux qui nous rongent peuvent se résumer dans ce terme : l’addiction à l’échec. Quelle addiction n’est pas nuisible ? quelle addiction n’est pas échec ?

Mais au-delà de cela, l’échec en lui-même provoque une addiction, l’échec est addictif en soi. Car l’échec, c’est le fait de chercher le confort et une certaine image de la paix dans l’absence d’effort, dans l’absence de volonté, dans l’absence d’endurance. C’est le contraire de l’Islam, qui consiste à chercher la paix en faisant preuve d’efforts et d’endurance justement.

Lorsque l’on mène un combat depuis longtemps et qu’on a épuisé toutes nos forces, abandonner le combat peut sembler reposant. Il y a ce goût à la fois doux et amer du confort mêlé à l’échec. Ne plus se battre devient une façon d’avoir « la paix », une fausse paix dont le prix est l’échec, le renoncement à la dignité, l’humiliation. Et pour avoir ce repos et cette fausse paix, la personne apprend à dépenser toujours plus de sa dignité, à y renoncer toujours plus, à céder, céder, céder, se laissant glisser, se laissant chuter, chuter, chuter, n’opposant plus aucune résistance ni effort, se laissant couler dans l’échec, la faillite et la déchéance.

Pour pouvoir préserver cette fausse paix et ce confort, la personne s’accommode et s’habitue à ce mode de vie sans dignité ni volonté, et finit même parfois par développer une addiction à l’échec, voire à l’humiliation provoqué par l’échec. Et comble du cynisme, d’autres se montreront même fiers de leurs échecs accumulés (comme ces personnes qui se vantent d’avoir fait de la prison par exemple).

On observe donc la chute, puis l’addiction à la chute et la justification de cette chute par un moyen ou par un autre (rejeter la faute sur un autre, ou en faire un objet de fierté, ou se dédouaner d’une manière ou d’une autre, etc.).

Car chuter est agréable, ne plus s’accrocher, ne plus se fatiguer à lutter et glisser vers le bas comporte certains délices… mais à quel prix ? En réalité, les sensations de la glisse et le frisson de la chute libre sont le chemin de la descente aux enfers ! Comment se termine une chute libre sans élastique et sans parachute ? Quel que soit le délice éprouvé lors de la chute, la fin sera atroce. Pire que la mort, c’est l’enfer qui attend celui qui se lâche et se sustente des délices de l’inaction.

A l’inverse, l’ascension demande des efforts et va nécessairement être inconfortable. Mais nous ne sommes pas seuls livrés à nous-mêmes, une corde nous est tendue, et ce n’est pas n’importe quelle corde :

Attachez-vous tous ensemble fermement à la corde de Dieu, […] S3.V103.

S’attacher, se cramponner, mettre tous ses efforts dans cette prise, et Dieu nous tirera vers le haut, Dieu nous permettra l’ascension, amine !

Oui cet effort n’est pas agréable au début,  il y aura un peu de douleur. Mais quelle douceur par la suite ! Quelle douceur incomparable !

De façon certaine, avec la douleur il y a une douceur S94.V5.

Nous sommes nombreux à oublier d’inviter Dieu dans nos combats, nous sommes nombreux à oublier que lorsque nous sommes au pied du mur et devant une porte verrouillée, Dieu a la clé de cette porte comme de toutes les portes. Ainsi, lorsque nous avons fait tout le chemin jusqu’à la porte fermée, nous avons effectivement le choix d’abandonner et de nous laisser chuter, comme nous avons le choix de nous rapprocher de Dieu et de vivre notre ascension vers Lui.

Si Dieu a fendu la mer pour permettre un passage au peuple de Moïse qui se pensait coincé et perdu, quel chemin ne pourra-t-il pas ouvrir pour chacun de nous ?

Il s’agit donc de faire preuve d’endurance, de persévérance, de patience, de volonté, de courage, d’espérance et de confiance en Dieu.

Savoir se reposer, mais ne pas lâcher, ne pas céder, ne pas abandonner, et sortir de cette dépendance malsaine à l’inaction, à la lâcheté, et à la chute autodestructrice.

4. choisis ta dépendance

La genèse du mot « addiction » (du latin addictio) remonte au temps où il était possible pour un homme de régler ses dettes en étant vendu aux enchères comme esclave. Ainsi, la personne en addiction (l’addictus en latin, ou l’addict en français) est la personne qui a vendu sa liberté, qui s’est donnée en esclavage !

De qui sommes-nous donc les esclaves lorsque nous nous laissons aller à l’addiction ? à qui nous soumettons-nous ? A des substances (drogue, cigarette, alcool, sucre en excès, etc ) ? A des films (amoralité, violence, impudeur, pornographie, etc.)  ? A des pulsions ? Aux dires et regard des autres ? A qui donnons-nous le droit de devenir notre maitre ?

Notre religion nous enseigne pourtant que notre Seul Maitre doit être Dieu. Aussi, notre seule addiction doit être Dieu ! Devenons addict à Dieu ! Devenons addict au souvenir de Dieu, à l’exercice de développement de notre conscience de Dieu (dhikr), devenons addict au Nom de Dieu, devenons addict à tout ce qui nous fait penser à Lui et nous rapproche de Lui !

Demandons à Dieu de nous rendre addict à Lui ! Mais où sont ceux qui demandent à Dieu cette addiction-là ? Pourquoi est-ce que l’on se disperse dans des addictions qui nous détruisent dans l’ici-bas et dans l’au-delà ? Qui veux-tu pour Maitre ? De qui veux-tu être le serviteur ?

Allons-nous rester addict à la tristesse et à la faillite ? Addict à l’échec et à la ruine ? Allons nous continuer à justifier nos faiblesses et nos failles et à nous conforter dedans ? « C’est pas ma faute, je suis né comme ça » « c’est la faute à mes parents » « c’est la faute à tel traumatisme » « c’est la faute de la société » « c’est la faute à Dieu qui m’a créé comme ça » ?!

Il est temps de réaliser que nous avons un Seigneur et Maitre qui est là pour nous et vers qui nous devons apprendre à tendre la main. Il est temps de réaliser que Notre Seigneur est plus grand que nous, plus grand que nos faiblesses, plus grand que nos failles, plus grand que notre paresse, plus grand que notre envie de sommeil devant la prière de l’Aube ! Plus fort que notre fatigue, plus fort que notre dépression, plus fort que notre paranoïa, plus fort que nos blocages et maladies mentales !  Et que c’est donc vers Lui que l’on doit se tourner pour s’élever ! Et cesser de se tourner vers les justifications, car elles nous rabaissent !

Celui qui justifie ses erreurs se ferme la porte qui mène à Dieu et lâche Sa corde ! C’est l’addiction à l’échec qui s’exprime chaque fois que l’on se justifie !

Sur les pas de qui marchons nous quand nous perdons notre temps en justifications ?

Quand le diable incita Adam et Eve à manger le fruit défendu, Dieu nous dit dans sa Sainte Parole :

C’est ainsi qu’il (le diable) les fit chuter par tromperie. S7.V22.

Le fautif et les victimes sont donc clairement établis. Mais Il nous rapporte que nos pères ont dit :

Ils dirent : « Notre Seigneur ! Nous nous sommes fait tort à nous-mêmes. Si Tu ne nous recouvres pas du manteau de Ton Pardon et de Ton Amour, nous serons certainement perdus » S7.V23.

Et que le diable a dit à Dieu :

Il dit : « Puisque Tu m’as égaré […] S7.V16.

Dans les pas de qui marchons nous quand nous rejetons la faute ailleurs que sur nous-mêmes ? Dans les pas de qui marchons-nous quand nous ne sommes pas capables de faire comme nos pères et comme notre Bien-Aimé Prophète lors de sa prière de Ta’if, à savoir : regarder nos propres torts, nos propres failles, nos propres manquements, et inviter Dieu, appeler Dieu, nous accrocher à Dieu, nous cramponner à Dieu de toutes nos forces pour les dépasser ?

Attachons-nous à Dieu et à Sa corde, devenons dépendants de Dieu, devenons addict à Dieu.

Le fait de s’exercer au souvenir de Dieu et à la conscience de Dieu (dhikr) est addictif. La lecture du Qor’an est addictive. Le nom de Dieu « Allah » est addictif.

Ceux qui s’y adonnent vous le diront : ce sont de vraies drogues, c’est enivrant. Mais encore faut-il s’y plonger avec sérieux en faisant le bon choix :

Chaque jour nous avons le choix de l’addiction que nous voulons développer : addict à Dieu ou addict à Netflix ? addict à Dieu ou addict aux substances ? addict à Dieu ou addict aux vices ?

Si tu ne veux pas développer d’addiction à Ton Seigneur, c’est ton choix. Vraiment, c’est TON choix.

Pourquoi ne deviens-tu pas addict aux enseignements, aux savants, aux sages, aux livres, aux assemblées, aux groupes, aux endroits, aux mosquées, aux associations, aux initiatives, aux adorations qui rapprochent de Dieu ?

Il suffit de goûter à l’ascension une seule fois pour devenir addict.

Et vivre l’ascension, c’est nécessairement se détacher de la vie matérielle qui nous tire vers le bas. Il s’agit donc de développer une addiction au détachement. Par exemple, notre Maitre Ali, le neveu du Prophète Bien-Aimé, était addict au détachement matériel, addict à la vertu, addict à la charité au point où un jour, alors qu’il était en inclination durant sa prière, il retira et donna sa bague à un mendiant qui venait lui demander l’aumône !  Même pendant sa prière il donnait la charité ! notre Maitre Abu Bakr quant à lui était addict au pardon, il aimait pardonner.

Comme eux, devenons addict au Prophète et au fait de suivre son exemple ! Apprenons à devenir addict à ce qu’il enseignait, ce qu’il aimait et ce qu’il faisait, et détachons-nous du reste qui ne peut que nous nuire ou nuire à autrui.

Deviens addict à Mohammed ! Deviens addict à la prière de connexion avec Mohammed (salate ‘ala ennabi). Exerce-toi, développe ta connexion, ton lien, ta relation avec le Bien Aimé à travers ces paroles.

Choisis bien ton addiction, car l’œil qui a préféré regarder le péché ne pourra pas voir le Bien Aimé, et ne pourra même pas le reconnaitre s’il lui était présenté. La bouche qui a préféré proférer le péché ne pourra pas embrasser le Bien-Aimé ni même lui parler. Les bras qui se sont activés dans le péché ne pourront pas enlacer le Bien-Aimé.

Choisis bien ton addiction, et souviens-toi que l’amertume à laquelle on peut goûter suite à un péché ici-bas n’est infiniment rien en comparaison de l’amertume qui nous attend si l’on continue sur cette pente. Car oui, l’enfer lui-même est aussi de nature addictive ! être addict au péché dans la réalité apparente, c’est être addict à l’enfer dans la réalité cachée !

Alors, choisis bien ton addiction.

5. Devenir un amoureux de Dieu : l’Amour pour moteur, la Vérité pour forteresse

Tu as choisi d’être addict et dépendant de Dieu ? Tu as choisi d’investir tes forces pour te cramponner à la corde de Dieu ? Tu renonces à chuter et tu as choisi la voie de l’Ascension ? Sur les pas du Bien-Aimé, puise ta force et ta motivation dans l’Amour de Dieu, et trouve ta Protection dans Sa Vérité.

Car le Bien-Aimé était un amoureux qui cherchait toujours la plus grande proximité possible entre lui et son Seigneur. Un amoureux qui ne put accepter l’idée de laisser entre lui et Dieu le moindre obstacle sans faire de son mieux pour le franchir.


Car le véritable amoureux est toujours en quête. Il ne laisse rien entre lui et Son Bien-aimé, il est prêt à tout pour retrouver Celui qu’il aime plus que tout. Sa vie est vouée à traverser toutes les distances et à enlever tous les obstacles possibles afin d’arriver à la contemplation pure et parfaite de la Face de Son Bien-Aimé.

Son chemin ne connaît pas d’arrêt.

Le Prophète ne s’est pas arrêté avant d’être arrivé à l’Observatoire Ultime (Sidrat al-Muntaha), la station la plus élevée après laquelle il n’y a plus de station : la station de l’Ascension Éternelle. Une station que même les Anges ne peuvent atteindre, alors que dire la dépasser…


Cette expérience en cette nuit bénie l’emmena ainsi jusqu’à la station de l’Ascension Éternelle. Depuis, l’esprit du Prophète ne cesse d’être en ascension continue. Après avoir emprunté le chemin VERS Dieu, c’est maintenant dans le chemin EN Dieu qu’il ne cesse d’avancer.


Et c’est ainsi qu’est le cheminement : au départ il s’agit d’un chemin VERS la Vérité pour finir par devenir le chemin DANS la Vérité.

Ceci nous enseigne que tant que nous cheminons vers la Vérité, la possibilité d’être détourné de Dieu est toujours là, mais une fois que nous entrons à l’intérieur de la Vérité, une fois que nous cheminons dans la Vérité, plus rien ne pourra nous détourner car nous avons fini par entrer dans la Maison Sacrée (Haram). Nous sommes alors en sécurité et nous pouvons expérimenter un voyage sans fin : une ascension continue dans la Vérité Éternelle.

CONCLUSION

Ainsi, sur les pas du Bien-Aimé, et si nous souhaitons vivre élévation, transcendance et ascension, nous sommes invités à réaliser les limites des autres et de nous-mêmes pour goûter à notre faiblesse extrême, et donc à notre dépendance totale et absolue au Tout-Puissant.

Cette dépendance, nous devrons la choisir, la chérir, la cultiver, tout en renonçant à toutes les autres dépendances et addictions, qui au final se résument à l’addiction à l’échec et à la faillite, qu’elle soit morale, physique ou spirituelle.

Ce choix et cette voie de transcendance vont exiger de notre part intégrité morale et goût de l’effort : face aux tentations et défis du quotidiens, il s’agira d’avoir la discipline, la volonté, la patience, l’endurance, la persévérance de choisir la voie du Bien, du Dépassement de soi et du Devoir qui sont les voies de l’élévation, et ne pas se laisser aller à la voie du mal, de la déchéance, de la glisse, de l’abandon, de la chute, dit autrement : de la facilité immédiate et éphémère.

Et c’est dans notre relation et notre amour pour Dieu et son Prophète que nous trouverons Force, Motivation et Protection. Agrippons-nous donc à la corde de Dieu, demandons-là, réclamons-là ! Et demandons toujours à ce que Dieu nous connecte et nous lie au Bien-Aimé, à celui qui s’est élevé au-delà des sept cieux pour aller à Sa Rencontre Sublime.

« Gloire à celui qui a fait voyager de nuit Son serviteur de la Mosquée sacrée à la Mosquée d’El Aqsa dont Nous avons béni l’enceinte, et ceci pour lui montrer certains de Nos Signes. Dieu est Celui qui entend et qui voit parfaitement. »
S17 V1

Merci à l’institut Ha-Mim pour le partage de la Traduction méditative de la prière de Ta’if ci-dessous :